|
Le passé de l'Auvergne
fécond en événements historiques a vu se dérouler une session d'assises
extraordinaires dont le retentissement profond, lui a valu même pour ceux qui n'en
connaissent guère les détails, un renom impérissable : Les Grands Jours de 1665-1666.
D'autres actions judiciaires ont eu leurs historiens qui en ont conservé tous les
détails, cependant aucune ne garde la renommée de celle-ci. C'est sans doute par ce
qu'un écrivain doué d'une plume aisée comme d'une parole élégante, un virtuose du
style, au langage précieusement contourné et curieusement alterné en périodes
contrastées, a été pour beaucoup dans ce retentissement d'un procès criminel se
déroulant au fond d'une province arriérée.
Ce procès des Grands Jours, si célèbre, et qui présente encore bien des détails
intéressants, deux documents très différents l'un de l'autre nous fixent amplement à
son sujet : la sèche énumération des sentences rendues qu'est le "Journal"
tenu par le greffier des Grands Jours, Nicolas Dongois, et la relation au style
précieux de l'abbé Fléchier.
Cette relation conservée à la bibliothèque de Clermont-Ferrand, - la seule que l'on
connaisse - n'est qu'une copie de la seconde moitié du XVIIIe siècle : elle a,
semble-t-il, subi quelques interpolations longtemps après la mort de son auteur ; on peut
cependant les négliger car l'ensemble paraît bien authentique ; le style est bien celui
de la correspondance de Fléchier, celui de son milieu, c'est-à-dire de l'hôtel
de Rambouillet dont le jeune abbé de trente quatre ans est à ce moment complètement
féru. Guez de Balzac et Voiture, coryphées de l'antithèse, n'ont pas de
disciple plus enthousiaste et plus compliqué que cet amateur de contrastes piquants, qui
vient précisément avec une brillante compagnie, faisant assaut de beau langage et de bon
ton, s'installer pour plusieurs mois dans une province restée ou retombée dans la
grossièreté du haut moyen-âge.
On trouve aux cartulaires et aux vieilles chartes auvergnates du XIe siècle de
terrifiants personnages comme cet Amblard, "comtour", qui règne sur une
vaste et imprécise région du haut de son bourg de Nonette, surplombant l'Allier et la
route qui va du nord au midi du royaume. On lui donne dans le pays un surnom adéquat à
son caractère : Amblard, dit le "Taureau rouge". Ce taureau de race de
Salers a près de lui son neveu ; celui-ci est surnommé "le Mal Hiverné",
c'est-à-dire le taureau au poil hérissé qui a passé l'hiver isolé et vagabond sur les
plateaux montagneux où hurle le vent.
Ne cherchons pas à énumérer les meurtres, incendies, carnages de toutes sortes de ces
aimables sires ; il faudra de longues années et de grandes infortunes pour les amener à
ces remords salutaires et inévitables qui finiront par la fondation de quelque prieuré ;
en attendant, leur vie consiste en sauvages chevauchées, brigandages quotidiens et
ripailles de brutes. Ils n'ont rien des "damerets" du "Grand Cyrus".
Si lointains que paraissent dans le temps ces "hauts et puissants seigneurs",
ils sont encore tout proches dans l'espace auvergnat, lorsque, débarquent à Clermont, en
1665, messieurs les parlementaires délégués par le roi Louis XIV, le souverain à la
majesté radieuse dont les rayons comme ceux de l'astre du jour vont désormais pénétrer
jusqu'aux recoins les plus ténébreux des provinces françaises.
En ce milieu du grand siècle, non moins noble, et presqu'aussi puissants que les
comtours
de Nonette, les Canillac, les d'Espinchal et une foule d'autres seigneurs
petits et grands ne vivent guère de façon différente. Les guerres de religion au
siècle précédent, la guerre civile de la Fronde encore toute récente, leur ont donné
la possibilité de reprendre dans la carence presque totale du pouvoir royal la vie
brutale et sans freins de leurs aïeux : chevauchées l'épée à la main, meurtres, rixes
et batailles rangées, brigandages organisés avec des bandits à leur solde, tel est
l'effroyable bilan que note imperturbablement le greffier Dongois dans son
"Journal".
Comment un abbé si "bien disant" soit-il, chargé de distraire agréablement
Madame de Caumartin, reine des Grands Jours, et les dames qui fréquentent son
salon, pourra-t-il peindre de pareilles moeurs sous des couleurs attrayantes, ou du moins
présentables à cette compagnie pour laquelle une conversation raffinée, assortie de
sentiments délicats, est l'indispensable et quotidienne nourriture ? Difficile tour de
force qui sera pourtant réalisé.
Et d'abord Fléchier est, au milieu même de cette difficulté, servi par une
circonstance favorable : l'antithèse est le fin du fin pour ces beaux esprits parisiens
naguère les hôtes de "l'incomparable Arthénice", or ici, l'antithèse, -
l'opposition non des mots ou des idées, mais celle des situations, règne partout ; c'est
une antithèse perpétuelle, un contraste de tous les instants que la juxtaposition de ces
deux sociétés, la parisienne et l'auvergnate. "Nous avons si peu de gens polis et
bien tournés dans ce pays barbare", fait dire Fléchier à une dame,
soi-disant son interlocutrice. Pays affreux, dit-il encore "où l'on dépouille les
autels après avoir pillé les peuples". Quelle différence même entre la politesse
des Parisiennes et la gaucherie des dames de Clermont, entre la justice locale et celle
qui arrive de Paris. Celle-là n'a qu'une chose à faire et n'y manque pas : "deux
jours se passèrent à entendre une infinité de compliments des principaux officiers de
justice voisines qui venaient s'humilier devant celle de Paris". Cette magistrature
aussi était donc d'une espèce fort inférieure à l'autre, si polie, si grave, si
majestueuse ...
Voilà le contraste qu'on retrouve à chaque page de la relation de Fléchier, et
qui doit produire un effet tout particulièrement goûté de ses auditrices au goût
subtil. Les exemples en abondent d'ailleurs au cours de ses récits avec une profusion
extrême et une ingéniosité inouïe.
Avec l'antithèse fondamentale qui se présente sans cesse par le contact incessant de ces
deux sociétés si dissemblables, il faut pour agrémenter vraiment le récit une
transposition habile qui rende agréable même des lieux et des choses réputés affreux.
Il s'agit de les présenter "avec tant de douceur et d'agrément qu'on les trouve
merveilleux", comme dit l'auteur, en nous révélant son système sans y penser.
Le sauvage pays d'Auvergne, si fort décrié, en devient lui-même tout à coup un parc
idyllique : "De Riom à Clermont le chemin est si beau qu'il peut passer pour une
allée de promenade avec ses deux cotés arrosés de ruisseaux d'une eau fort clair et
fort vive ... On découvre là une grande étendue de prairies qui sont d'un vert plus
frais et plus vif que celui des autres pays. Une infinité des ruisseaux serpentent dedans
et font voir un beau cristal ..." etc. Voilà qui est pour plaire, et nos dames
parisiennes ne peuvent maudire trop durement leur exil momentané dans ce pays si riant,
où d'ailleurs leurs allures de hautes distinctions tranchent sur le maintien
embarrassé
de la province et leur procurent ainsi une satisfaction appréciée.
Mais cette délégation judiciaire si imposante aura à connaître d'actions atroces et
rendra de terribles arrêts. Comment les présenter aux oreilles délicates des auditrices
? Les crimes eux-mêmes, forcément indiqués, le seront en des termes qui garderont toute
la décence de la bonne compagnie : les supplices qui châtieront les coupables seront en
quelque sorte mentionnés indirectement sans figurer sur la scène : on n'y verra pas le
spectacle pénible de l'exécution du vicomte de La Mothe Canillac, et, pour clore
l'exposé, celle des frères Jean-Claude et Jacques Doniol - Les Combalibeuf
- ne semble être indiquée, que pour montrer en eux, sinon des criminels vulgaires - on
n'en a que trop vus - mais "deux jeunes hommes qui avaient du coeur", un
caractère plein de générosité, et qui surent mourir courageusement, n'ayant d'autre
culpabilité que leur solidarité avec un camarade poursuivant une vengeance personnelle.
Cette transposition incessante de situations pleines d'horreur en descriptions élégantes
et confinant au badinage nous vaut de fréquentes narrations.
Voici le comte de Montvallat, seigneur de Tournoël, dont les exactions inouïes
désolent ses terres : "Il vendait l'impunité à tous les coupables, aussi rien ne
lui était plus inutile dans ses terres qu'un homme de bien. Il renvoyait les criminels au
notaire plutôt qu'au juge et ne connaissait d'autres lois écrites que les contrats
d'obligations". Et Gaspard d'Espinchal "cet homme qui a toutes les bonnes
qualités naturelles et qui n'en a pas une morale".
Sur les Canillac - ample sujet s'il en fût - la verve de Fléchier
transforme en récit plein de pittoresque un écheveau de crimes inouïs. Voici le
portrait de l'un d'eux : "Il était de la maison de Canillac, ce qui donne
bonne opinion de sa noblesse, mais non pas beaucoup de sa conduite, y ayant un
dérèglement universel dans cette famille". Le comte de Canillac de
Pont-du-Château passait dans l'esprit de tout le monde pour le plus grand criminel de la
province. "Lorsqu'il avait besoin d'argent, il menaçait de tuer son beau-père et
maltraitait si fort madame sa femme qu'il fallait pour apaiser le courroux de l'un et la
misère de l'autre lui accorder ce qu'il demandait ". Or, "il fut presque
acquitté, les témoins ayant manqué sur ses méchantes actions car on tremblait encore
devant lui ; on était donc obligé de conclure ou qu'il était bien servi ou qu'il était
bien innocent. Il sortit fièrement de sa prison, attirant contre lui et contre les juges
l'indignation de toute la province ". Et le marquis de Canillac : "Il y a
plus de soixante ans qu'il a commencé d'être méchant et n'a jamais cessé de l'être
depuis ce temps-là. Il entretenait douze scélérats dévoués à toutes sortes de crimes
qu'il appelait ses douze apôtres "qui catéchisaient avec l'épée ou avec le bâton
". Et le fils de celui-ci qui n'avait qu'un homicide sur la conscience : "Il est
vrai que c'est être bien innocent en Auvergne que de n'avoir commis qu'un crime et qu'un
fils qui n'a été criminel qu'une fois paraît bien juste à comparaison d'un père qui
l'est toujours ".
Comme couronnement ce fut "celui qui était au sentiment de tous le plus innocent de
la famille ", Gabriel de la Mothe-Canillac, qui fut condamné à mort et
exécuté. Son cas n'était pas grave cependant puisqu'il ne s'agissait que d'une de ces
"querelles de gentilshommes", si fréquentes en ce temps et en ce pays ; et avec
qui ? avec un personnage "de qualité inférieure à la sienne", le sieur
d'Orsonnette avec lequel il s'était brouillé pour questions d'intérêt, et qu'il
assaillit un jour où il le rencontra sur son chemin, lui cassant une épaule d'un coup de
pistolet et tuant son fauconnier, le nommé La Bastide. Une peccadille, en vérité
! D'autant qu'Alexandre de Montservier, sieur d'Orsonnette, maintenant
réconcilié
avec lui, était un soudard d'une violence forcenée, accusé par son propre père d'avoir
tué son frère ...
Quel assemblage d'honnêtes gens et comme on comprend les caractéristiques de la noblesse
d'Auvergne, d'après Fléchier lorsqu'il dit d'un personnage : "L'on connaît
par ses humeurs promptes et impatientes qu'il est gentilhomme" et lorsqu'il parle de
"certaines inclinaisons violentes qui sont dans le tempérament de la noblesse de ce
pays", et de celui auquel "ce titre de noble qui a été longtemps un titre
d'impunité pour des criminels, semble lui donner droit de faire quelques violences comme
les autres, et que n'ayant pas un grand éclat de sa fortune, il crut ne pouvoir prouver
sa noblesse que par quelque crime".
Et quelle ironie cruelle au sujet de M. de la Tour : "on lui rendit l'honneur
qu'il méritait et on le condamna à avoir noblement la tête coupée".
Mais si ces violences inouïes des Canillac sont un spectacle plein d'horreur, Fléchier
a su cependant y enchâsser une anecdote charmante pour le plus grande délectation des
lecteurs comme des auditrices de jadis.
Il s'agit de Mademoiselle de Ribeyre, de cette famille des Ribeyre
"assez puissante à Clermont par leurs richesses" que voulait épouser un fils
du marquis de Canillac, lequel s'y opposa "ne trouvant pas assez de
proportions de qualité de l'un à l'autre, et comme il avait tourmenté ses sujets il
voulut tourmenter son fils, et après avoir exercé mille cruautés contre l'innocence, il
en exerça contre l'amour".
Mademoiselle de Ribeyre ne put donc épouser son soupirant. "Mais le vieux
marquis après lui avoir fait une grande injustice lui fit un jour une réparation à sa
manière, car ayant su qu'elle devait passer par une de ses terres, il attendit son
carrosse au passage et l'ayant aperçue, il vint à la portière et ayant dit au cocher
d'arrêter il considéra quelque temps cette belle, sans parler. Elle qui connaissait son
extravagance, et qui savait qu'elle était aussi haïe du père qu'elle avait été aimée
du fils, attendit en tremblant quelque funeste aventure. Mais ce vieux pécheur l'ayant
assez longtemps regardée, se retira follement en battant sa poitrine et demanda à Dieu
pardon d'avoir dit que la Ribeyre n'était pas belle !".
Voilà un tableau assez joli, qui dut ravir les précieuses exilées en Auvergne et ajoute
aux sombres exploits des Canillac un épisode fort divertissant...
Car Fléchier en abbé, certainement toujours en deçà des bornes de la
bienséance, mais habitué à aborder les sujets ordinaires de la conversation des salons
parisiens, parle volontiers de l'amour, de la beauté des dames.
Il connaît à fond leur psychologie : "On dirait que toute leur cruauté ne s'étend
qu'à refuser les voeux d'un amant et à punir par le mépris la témérité qu'on a eu de
les aimer ". Il indique aussi avec pertinence "que leur amour ne fait mourir que
par métaphore ". Il brosse bien le portrait féminin : "Michelle de Ribeyre,
la fille la plus agréable et la plus belle de ce pays, à qui la nature avait donné
beaucoup de grâce extérieure, soutenue d'un beau feu et d'un enjouement réglé qui la
faisait passer pour la merveille de la province ... Cette Michon qui gagnait les coeurs et
attirait tous les villages par où elle passait, et faisait dire aux personnes qui ne
savent flatter et qui sont plus sincères que celles des villes, qu'elle emportait le prix
sur toutes les autres ".
Ce dernier trait nous fait souvenir des petits ramoneurs se retournant au passage de
Madame Récamier et montre curieusement l'homme de cour Fléchier
appréciant le jugement esthétique des villageois, alors qu'il raconte ailleurs la
jalousie de cette méchante comtesse d'Apchier qui avait même "blasphémé
contre la beauté de Mesdemoiselles Ribeyre et déclaré hautement qu'elle avait eu
des femmes de chambre plus belles qu'elles, ce qui paraissait trop impudent pour être
pardonné" . Nous le croyons volontiers.
Cependant tout n'était pas galanterie et délicatesse, loin de là, dans ces cantons, et
à propos de certains droits pécuniaires perçus au moment du mariage, Fléchier
nous dit que ces coutumes "exposaient les gentilshommes qui avaient l'autorité et
n'avait pas toujours la modération à des tentations dangereuses lorsqu'ils en trouvaient
quelque beau sujet ".
L'ouvrage de Fléchier repose sur des contrastes profonds ou occasionnels; son art
consiste à embellir ou plutôt à transformer les tableaux qui se déroulent sous ses
yeux, et à en tirer des aspects et des circonstances qui cadrent avec la tournure
d'esprit importée des salons parisiens.
Son succès dans ces salons, lors du retour, dut être complet et vraisemblablement son
auteur ne visait pas plus loin. Ce badinage si compliqué, si précieux ne lui sembla pas
digne de dépasser le milieu et le moment pour lesquels il avait écrit. Aussi le
manuscrit aux épisodes si piquants mais sans grande unité de composition fut-il
relégué au fond de quelque tiroir ignoré : Dans l'esprit de l'abbé Fléchier il
avait rempli son rôle tout entier.
Mais n'y a-t-il dons pas autre chose dans cette relation des Grands Jours qu'un brillant
exercice littéraire, une jonglerie de mots étincelants, un assemblage laborieux de
contrastes plaisants, destinés à remplir une fonction assez futile en somme : distraire
des parisiennes privées momentanément de leurs passe-temps habituels ?
Il suffit de lire attentivement l'oeuvre de Fléchier pour voir que sous son
badinage à l'usage des salons, il laisse souvent transparaître ce qu'il
connaît, ce
qu'il entend raconter chaque jour près de lui, chez Monsieur de Caumartin,
touchant les grands desseins de Louis XIV et de Colbert.
Le programme des Grands Jours est comme tracé dans ce compte-rendu des opérations du
conseiller Le Peletier en Haute Auvergne. Il y fit "des actions qui marquent
bien l'autorité absolue du roi dans son royaume et la terreur que la justice avait
imprimée dans l'esprit des peuples. On l'a vu lui seul troubler toute la contrée des
montagnes ; faire reconnaître le droit où il n'avait jamais été, et porter la crainte
dans des lieux qui avaient toujours été inaccessibles à la justice. On l'a vu faire des
violences innocentes où l'on en faisait de criminelles ; entrer dans les
châteaux les
plus fortifiés ; faire ouvrir les cabinets les plus secrets et envoyer les plus fiers et
les plus puissants de la province, sous la garde d'un exempt à Clermont pour rendre la
raison de leur conduite ".
Fléchier écrit aussi ailleurs : "Ces choses ne laissent pas de faire voir
l'autorité du Roi et la crainte qu'imprime dans les esprits la sévérité de sa justice
". Le précepteur du jeune Caumartin a donc vu plus haut que les à-côtés
d'un voyage lointain dans une province peu connue des parisiens. Il a dans sa relation
compris toute l'importance de la mission des magistrats envoyés par Louis XIV, à
Clermont pour exécuter une opération de police rigoureuse et nécessaire.
Les résultats de cette politique de force, dans une province qui ne connaissait plus que
la force, furent immédiats puisque, la terreur y fut si fort répandue qu'il se fit alors
"mille conversations qui venaient moins de la grâce de Dieu que de la justice des
hommes ". Les Grands Jours purent "se glorifier d'avoir fait des gens de bien
dans une province où l'on se faisait gloire d'être coupable ".
"Les Auvergnats n'ont jamais si bien connu qu'ils ont un roi, comme ils le font à
présent ", écrivait Novion à Colbert en octobre 1665. Aussi l'avocat
général Talon n'exagèrera pas trop sa flatterie à l'égard du jeune roi
lorsqu'il dira : "Il ne lui manquait que cette belle action à faire ". Certes,
il frappa au point névralgique en frappant l'Auvergne brutale et déréglée : "la
grande ombre de Richelieu, niveleur des repaires féodaux voyait son oeuvre se
continuer avec amplitude par ces Grands Jours de 1665 ".
Dès lors le pouvoir royal est fortement assis même au fond des montagnes du Plateau
central ; il y est stabilisé pour plus d'un siècle ; l'écho de ces Grands Jours se
répercutera longuement dans ce pays et même dans beaucoup d'autres provinces, sous
l'ancien régime. On pourra désormais s'y contenter des formes ordinaires de la justice
et le roi n'aura plus besoin d'y envoyer des délégués munis de pouvoirs spéciaux :
plus de Grands Jours après ceux de Clermont, terribles dans leurs effets. Ceux de
1665-1666 ont atteint le but assigné par le roi.
Si en 1665 on chansonnait encore l'intendant Bernard de Fortia, par la suite tous
ses successeurs furent entourés d'un respect profond où entrait assez de crainte, et
dès ce moment leur autorité pénétra jusqu'au fond des campagnes les plus reculées.
Des réformes, des travaux importants, la transformation complète des villes, pourront
désormais se faire par leurs ordres et réussir sans attirer d'opposition locale : la
grande opération judiciaire des Grands Jours a placé hors de pair le pouvoir royal au
pays d'Auvergne. |