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Un vieux dicton
disait : "Loin des grand'routes et loin des grands seigneurs , c'est là que le
paysan vit heureux."
Certes, les habitants de Lamontgie remplissaient parfaitement la deuxième condition pour
avoir le bonheur : depuis les temps enfouis dans le passé de la conquête de l'Auvergne
par Philippe-Auguste, ils n'avaient d'autre seigneur que le roi de France ; et celui-ci en
son Louvre, certes bien lointain, avait d'autres occupations que de songer à tracasser et
vexer les bonnes gens de Lamontgie, ses arrière-vassaux "comme dépendant de son
château de Nonnette". Surtout en cette fin du XVIème siècle, le pauvre Henri IV,
jusque là fort malchanceux, avait d'autres chiens à fouetter ! Les gens de ce village,
fort économes comme il appert encore de leurs habitudes présentes, (qui sont garantes du
passé) payaient d'ailleurs fort régulièrement "les deniers des tailles et
autres". Que désirer de plus ?
Donc tranquillité complète du côté seigneurial.
Mais il n'en était pas de même des "grand'routes" : celles-ci étaient là,
s'entrecroisant comme à plaisir, dans le bourg ou à ses approches. Lamontgie était :
"sur le grand chemin tendant de Nonnette à Lyon, le chemin tendant de Brioude à
Sauxillanges et encore sur le grand chemin tendant de Saint-Flour à Billom".
Au premier abord rien de plus avantageux que cette situation, surtout en un temps où les
difficultés des communications entravaient tant le négoce : c'est à ce carrefour de
trois chemins que Lamontgie devait sa naissance et une croissance remplie de promesses
d'avenir ; par toutes ces voies d'accès - deux grandes et une petite - qui formaient six
avenues, lui arrivaient les produits les plus différents et sa situation entre la vallée
Lembronnaise et le massif montagneux du Livradois en avait fait le rendez-vous de la
plaine et de la montagne. Un jour, des foires y étaient nées tout naturellement, de
cette situation si propice au trafic des marchandises et des bestiaux.
Aussi pouvait-on, dans ce coin d'auvergne, caractériser par une institution propre à
chacune d'elle plusieurs paroisses qui s'avoisinent par la : Lamontgie, son marché ;
Nonette, son château ; Mailhat, son église - pèlerinage ; Esteil, son monastère. On
pourrait même, dès le XVIIIème siècle, ajouter Jumeaux, sa batellerie, Auzat, ses
mines de charbon.
Le lieu de "La Monge" comme on disait dans le langage courant, était donc
prospère, prospérité maintenue par l'esprit d'extrême économie qui y régnait et
l'ardeur déployée pour grossir le patrimoine de la maison. Deux propos revenaient alors
souvent comme aujourd'hui dans les conversations des habitants : "Tsé
eïpargna" "Tsé fère mouison" ("il faut épargner" "il
faut faire maison").
Aussi, que de bas de laines bien garnis, et, sous des costumes dépourvus de toute
élégance, dans des demeures dénuées de tout agrément, des fortunes rondelettes. Il y
avait là, non pas de chétifs manants, maigres tenanciers de terres pour des seigneurs ou
de gros bourgeois, mais de vrais propriétaires "labourant à plusieurs paires de
vaches ou de boeufs", leurs propres terres, tenues en héritage depuis de longues
années. Il y avait des artisans fabricants d'huile, terrés dans leurs boutiques sombres
où le cheval borgne tourne la meule de la Toussaint à Paques, tisserands maniant
inlassablement la navette, marchands de vaches surtout, courant les foires de Sauxillanges
à Ardes et même jusqu'à Allanche, buvant ferme, se disputant souvent et bruyamment avec
leurs acheteurs et leurs concurrents, mentant un peu (on sait que c'est indispensable dans
ce métier) mais rapportant toujours quelques pistoles. Il n'était pas jusqu'aux
chiffonniers, les "marchands de vieux drapeaux", des actes notariés, les
"peillarots" du langage populaire qui ne faisaient des affaires et avaient assez
de beaux écus pour "sortir en argent", très honorablement leurs filles et
leurs fils cadets, lors de leur contrat de mariage.
Mais toute médaille a son revers : on sait que le XVIème siècle fut une époque bien
pénible, bien dure pour le pauvre monde. Cela commence par des nouveautés religieuses :
on voulait tout bouleverser ; quantité de gens avaient la tête à l'envers ; on vit
même un fils de Mailhat, Désoches, d'une famille qui avait produit quantité de
notaires et de procureurs, se faire ministre protestant et aller donner le
prêche dans la
ville d'Issoire !... Lamontgie ne donna guère dans ces extravagances : on y tenait ferme
pour "la religion des vieux" et on ne se passionnait que pour des questions plus
terre à terre ... On considéra "ceux de la religion prétendue réformée"
comme des fauteurs de troubles des plus indésirables ; le terme de "huguenot",
(prononcez higanaô), devint pour des siècles le synonyme d'homme sans foi ni loi, digne
de tous les mépris.
Mais ces folies mirent le feu partout, et bientôt ce ne furent que passages incessants
d'hommes d'armes de tout genre, de toute religion, de toutes bandes ... Les trois chemins
à qui mieux mieux déversaient les compagnies sous les ordres de capitaines à mine
farouche qui faisaient vivre leurs hommes sur l'habitant. Allez donc
reconnaître là
dedans les amis des ennemis !... "Qui dit soudard, dit pillard". Pauvres
habitants de Lamontgie ! Ils furent "vexés, tourmentés, pillés, ravagés et
saccagés dans leurs biens, meubles et immeubles, par tous ceux qui tenaient les
champs..."
Et c'étaient leurs chemins qui amenaient tout cet arroi, alors que les paroisses des
environs gardaient dans leurs vallées discrètes une tranquilité relative, qu'ils
enviaient à cette heure ! "Les vieux avaient raison", se dirent-ils en se
rappelant le dicton qui prévoyait les inconvénients de leur situation ...
Un des meilleurs moments de la dure vie paysanne, c'est, au milieu de l'hiver, l'époque
où l'on exécute l'important personnage qui n'est bon qu'après sa mort. C'est une grande
fête que le jour du "dîner de cochon" (sauf le respect que je vous dois).
Autrefois même un dicton (encore un), commençait ainsi : "Veux-tu être heureux ;
un jour : étrennes un habit, une semaine : tue un cochon, ..." [1]
Quelle joie, en effet, de voir la grande tablée avec toute "la parenté", des
marmots jusqu'aux aïeules et les neveux et cousins, filleuls et marraines, devant les
saucisses et les grillades de "filets", et ces délicieux boudins qu'on ne
trouve qu'à la campagne, les choses indignes qu'on mange en ville sous ce nom, n'ayant
avec les "vrais" aucune ressemblance ! Eh bien, cette joie même avait été
supprimée du pauvre pays qui l'appréciait si hautement ; cette fête de l'hiver où
chaque famille réunissait tout son clan n'existait plus ... On s'en rappelle encore
là-bas et les vieux le redisent avec des yeux agrandis par l'effroi, alors que tout le
reste, pire sans doute, mais moins saisissant pour les imaginations de ce terroir, est
oublié depuis longtemps ... De crainte de ces affreux soudards il fallait, de nuit,
conduire le porc dans la maison et là, sous le manteau de la cheminée, l'assommer afin
d'empêcher que ses cris ne révèlent la présence sous un toit d'aussi riche provende
!...
Quel temps !... Mais que faire ? On disait alors, quand une injustice, une brutalité vous
tombait sur le dos : "Si le roi le savait !..." Hélas, vers l'an 1590, ce
recours au lointain souverain était inopérant : le pauvre roi Henri, quatrième du nom,
grand ami du pauvre peuple, comme chacun sait, était bien dans l'impossibilité de rendre
la sécurité à ses fidèles manats de Lamontgie et autres lieux et il avait fort à
faire pour reprendre son royaume qui tombait dans l'anarchie ... Mais la nécessité rend
industrieuse : elle donne l'esprit d'initiative et d'organisation aux caractères
énergiques ; les habitants de ce pays se sont toujours montrés très avisés lorsqu'il
s'est agi de leurs intérêts immédiats. Ils se groupèrent ; le "corps commun"
eut tôt fait de démontrer à tous que la situation malheureuse de Lamontgie, sillonné
de bandes armées et l'absence de défenses naturelles comportaient impérieusement
l'érection d'une enceinte de murailles à l'instar de maintes villes et bourgades qui se
préservaient ainsi des ravages des soudards.
Mais pouvait-on s'adresser aux autorités de la province. Leur demander des subsides pour
ces grands travaux ? Hélas, en ces temps calamiteux les levées des deniers royaux se
faisaient très mal, elles étaient absorbées par la guerre : untel recours était fort
aléatoire ... Il ne restait aux habitants de Lamontgie pour se construire des remparts,
d'autres ressources que leurs propres moyens. Grosse entreprise cependant ! mais qu'à
cela ne tienne : pour sauver l'essentiel de leur avoir, et empêcher la catastrophe totale
c'est le moment de montrer que l'économie pratiquée par les gens de Lamontgie peut
servir hautement le pays en cas de nécessité vitale ; ces manants de si peu de mine
"boursillèrent" entre eux et le produit de la collecte fut si rondelet, si
opulente même fut la somme réunie, qu'en peu de temps, aidés sans doute par ces
charrois volontaires de tous les habitants qu'on appelle des "bouades", on vit
s'élever tours et murailles. Dans cette enceinte qui entoura une partie du village chaque
famille eut un petit refuge avec logis exigu mais suffisant, étable, cellier ;
l'indispensable pour garantir la sécurité des biens les plus précieux en cas d'alerte.
Au moment où tant de seigneurs ne pouvaient même pas boucher les lézardes de leurs
châteaux tombant en ruines, "le lieu de la Monge, paroisse de Mailhat", se
transformait en ville forte ! Et les rudes gars qui remplissaient ses maisons - le chiffre
moyen, souvent dépassé est de six enfants par famille - suffirent pendant nombre
d'années à la garde de ces bons remparts neufs, où l'on se garda bien d'entretenir à
grand frais une garnison mercenaire, ce qui aurait été mettre l'ennemi dans la place.
Tout alla bien, dès ce jour, dans ce pays bien gardé. Mais le roi de France pacifia
enfin son pauvre royaume et, je ne sais quel ergoteur, - quelque procureur hanté par le
formalisme et les chinoiseries administratives - fit remarquer aux habitants qu'ils
avaient commis un empiètement inouï sur les droits souverains de Sa Majesté, quand sans
l'autorisation de leur seigneur, ils avaient transformé leur bourg en forteresse et que
de ce fait ils allaient encourir les plus graves alternatives, dont la première était la
démolition de l'enceinte !...
Les habitants ne se troublèrent pas pour cela : "le corps commun" des chefs de
famille, au contraire, résolut de prendre les devants, et d'aller en causer au roi, qui
précisément se disposait à venir à Lyon.
Lyon ne nous parait pas très voisin de Lamontgie ; de plus nous vivons dans cette idée
fausse que nos ancêtres étaient absolument casaniers parce qu'ils n'avaient pas à leur
disposition le chemin de fer. Il n'en était rien et les voyages étaient bien plus
fréquents qu'on ne le croit.
Chaque année, au printemps, les marchands d'huile de Lamontgie allaient avec leurs mulets
porter leur marchandise en Forez, et jusqu'à la grande ville. Sans doute l'un d'eux eût
tôt fait de se proposer pour aller porter la "Très humble supplique à Sa
Majesté..." Un notaire - Lamontgie en comptait déjà plusieurs - la rédigea vite
dans ce style dolent à fendre l'âme dont l'usage était de règle en ce genre de
requêtes ; pour que l'effet en fut plus sûr on lesta sans doute le porteur de quelques
pistoles à remettre en bonnes mains, afin de parvenir plus tôt auprès des personnages
qualifiés de la chancellerie royale, et on attendit avec confiance...
Confiance justifiée par l'évènement, car un beau soir le messager était de retour
brandissant fièrement une peau de mouton pliée en trois bandes longitudinales et où
pendait un large sceau de cire jaune. Le "corps commun" fut en un clin d'oeil
réuni dans l'étroite "maison de ville" blottie sous les arcades du fort, et à
la lueur clignotantes des "chalets", balancés au "courmier" dentelé
pendu à la voûte. le notaire lut cette belle lettre :
"Henry, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, a tous presents et
advenir salut. Nos bien amez les manans et habitans du villaige de la Montgie en notre
païs d'Auvergne deppendant de nous à cauze de nostre chasteau de Nonnette lieu entouré
et joignant plusieurs grands chemins entre autres estant sur le grand chemin tendant
dudict Nonnette à Lyon, au chemin tendant de Brioude à Sauxillanges et sur le chemin de
Sainct-Flour à Billiom auxquels chemins passent ordinairement plusieurs gens de guerre.
Nous ont faict remontrer que au commencement de ces troubles ? en cestuy nostre royaume et
deouis le decez de feu notre très honoré sieur et frère le roy dernier déceddé ilz
avoient esté tellement versez, tourmentez, pillez, ravagez et saccagez dans leurs biens
meubles et immeubles par nos ennemis et par les gens de guerre mesme par plusieurs qui
tenaient les champs sans adveu de sorte qu'ilz furent contraintz depuis le decedz de notre
dict sr et frère et dez le moys de janvier mil cinq cens quatre vingt dix denceindre
partie dud. villaige de murailies et de quelques tours servant de defences à iceluy
villaige, non a aultre intention que pour garder eulx leurs femmes enfans et familles
desdictes vexations et impietez dont usoient lesdits gens de guerre envers eulx et pour ce
qu'ilz ont cloz et enceint partie dud. villaige de la Montgie sans avoir sur ce nos
lettres de permission de faire ladicte closture et enceinte ne leur ayant pas tenu rigueur
pour le dangier des chamins qu'au plus fort de ceste guerre qui estoit lors en cestuy
nostre royaume ilz n'ont aussi pu avoir recours à nous jusques a présent qu'ilz nous
supplient très humblement notre bon plaisir soit vallider et approuver ladite enceinte et
closture avec lesdites deffences qu'ils ont faictes à leurs propres coûts et despens
sans pour ce avoir faict aucune levée de deniers que ce qu'ilz avoient boursillé par
entre eulx pour ladite confirmation que besoing seroid lad. closture ainsy faicte leur
puisse demeurer en son entier pour le péril où ilz seroient si ilz n'avoient ces dictes
deffences. Considéré que ès dicis chemins journellement pendant lesdits troubles ont
passé et repassé gens de guerre et qu'il leur seroit impossible paier les deniers de nos
tailles et conserver leurs biens, bestial et aultres choses, NOUS, à ces causes désirant
bien et favorablement traicier ls dits exposans attendu la fidellité qu'ilz nous ont
randûe ayant toujours paié lesd. deniers de noz tailles et aultres qu'ilz nous estoient
tenuz paier et s'estant maintenus en notre obeissance avons vallidé et approuvé de notre
grâce spéciale pleine puissance et aucthorité royale vallidons et approuvons lad.
enceinte et closture et tours qu'ilz ont faicte autour de partie dud. villaige voullant
que ce qui a esté par eulx faict pour ce regard demeure en son entier sans que ores ny
pour l'advenir ilz en puissent estre recherchez ni inquiettez en quelque sorte et manière
que ce soit pourru qu'ilz en tiennent le consentement du seigneur hault justicier.
Ordonnons en mandement au gouverneur Sénéchal d'Auvergne ou leurs lieutenans que de noz
rles vallidation approbation et permission de tout le contenu cy dessus ils facent
souffrent et laissent lesd supplians jouir et user plainement paisiblement sans en ce leur
faire mettre ou donner ny souflrir leur estre faict mis ou donné aucun trouble ou
empêchemen au contraire ores ny pour l'advenir lequel si faict mis ou donné leur estoit
ou avoir esté l'ostent et mettent ou facent mettre et oster incontinant sans dellay au
premier estat et deub. Car tel est notre plaisir et affin que ce soit chose ferme et
estable a tousjours nous avons faict mettre notre scel a cesdictes présentes sauf en
aultres c
"Donné à Lyon au moys de septembre l'an de grace mil cinq cent quatre vingt quinze
et de notre règne le septième."
"HENRY"
"Par le Roy : DE NEUFVILLE."
Passons sur la joie des habitants de Lamontgie qui voyaient ainsi leur initiative
consacrée par la plus haute approbation ; ce fut un triomphe moral superbe, venant après
la grande victoire de leur sécurité matérielle reconquise !
Lamontgie ainsi encouragé, redoubla sans doute d'ardeur dans ses deux qualités
dominantes : le travail et l'économie. Le nombre de feux aux XVIIe et XVIIIe siècles, ne
fit que croître, les défrichements augmentèrent, ses grosses familles de laboureurs et
d'artisans, les Delanef, les
Olier, les Berard, les
Chadenay,
bien d'autres encore possédèrent de vraies fortunes, parcimonieusement administrées,
entretenues par un implacable droit d'aînesse. ou plutôt par le droit presque exclusif de
celui qui continuait "la maison", ce pivot de la vie rurale, ce moteur de
l'activité de tous, cette institution fondamentale, qu'il s'agissait de faire grandir
sans cesse !
Au XVIIIe siècle même, se rappelant sans doute la fameuse entreprise de l'enceinte
fortifiée, ils voulurent aussi faire quelque chose de grand : une église. Ils semblaient
vouloir secouer la tutelle de leur belle, mais un peu lointaine paroisse de Notre-Dame de
Mailhat. Le monument, dédié à Saint-Roch, grand protecteur des animaux domestiques
contre les épidémies fut sans architecture, sans beauté, sans élan, car ce temps avait
perdu les belles traditions des vieux "logeurs du Bon dieu", mais ses vastes
dimensions indiquaient bien le bur poursuivi ; ce n'était pas une chapelle mais bien une
future paroisse pour tous les villages qui convergeaient vers lamontgie, et cet audacieux
projet se réalisa bientôt comme tous ceux de ce pays, qui semblait avoir le vent en
poupe.
Comble de gloire due à cette prospérité croissante : au grand branle-bas de la
révolution on bouleverse toutes les anciennes circonscriptions. Dans ce coin d'Auvergne
quel est le bourg le plus commerçant et le plus populeux ? Lamontgie assurément : le
voilà chef-lieu de canton !
Hélas ce fut pour peu de temps : un remaniement survint peu après, qui détrôna
Lamontgie au profit d'un bourg, nouveau lui aussi, Jumeaux, né de la batellerie sur
l'Allier un siècle auparavant.
Lamontgie ne sut pas défendre la position acquise, cette fois il sembla qu'il n'était
"pas à la page". Son économie un peu sordide était doublée d'une rusticité
assez encroûtée ; il semblait que ses grosses familles malgré leur fortune ne pouvaient
évoluer, s'élever au-dessus de leur horizon fermé comme l'enceinte de leurs murailles
vieillissantes. Les habitants, même fort riches, n'avaient pas la souplesse nécessaire
pour se muer en bourgeois, et malgré leur disposition à la chicane, bien peu de leurs
fils entraient dans cette "robinaille" qui dirigeait souverainement les
campagnes à la fin du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle. Les marchands de
Jumeaux, au contraire, avaient pour fils et frères des notaires, des procureurs, des
avocats retors : ils réussirent à y faire transférer le chef-lieu ... et le gardèrent.
Lamontgie déchu de ses grandeurs, rapides mais brèves, ne conserva d'autre rayonnement
extérieur que le brouhaha mensuel de ses foires qui lui est assuré à perpétuité par
sa situation géographique : le village revenait ainsi à son point de départ.
Peu à peu le bourg s'évada de l'étroite enceinte élevée en 1590 ; lentement, murs et
tours commencèrent à disparaître, bien qu'il en reste encore assez pour juger de
l'ensemble. Celui-ci n'a jamais retenu l'attention d'aucun archéologue, ni d'aucun
artiste, mais au point de vue social il y avait là une belle page d'initiative, de
solidarité locale, et, au milieu de grandes difficultés un effort très grand, couronné
par un beau succès.
Les nouvelles générations toujours âpres au gain, mais estimant de moins en moins ce
qui venait des "vieux" oublièrent tout cela dans un temps sans mémoire et sans
traditions, Un maire de Lamontgie donna un jour le lettre royale si glorieuse pour sa
commune, mais dont le contenu indéchiffrable semblait sans intérêt, à la bibliothèque
de la ville de Clermont où elle est actuellement conservée ...[2]
Jusqu'à ce jour elle n'avait jamais été publiée : elle méritait vraiment de l'être.
[1] Il est vrai que ce proverbe issu d'un matérialisme bien
épais se continuait par une fine ironie très gauloise, et se terminait par un conseil de
haute sagesse : "... un mois : épouse une femme ; toute la vie : sois bon
chrétien."
[2] N° 621 du catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque de
Clermont.
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