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Juin/Octobre 1925
de Marc Dousse.
Extrait de "le pélerinage de Ronzières"

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Une lettre d'HENRI IV aux habitants de Lamontgie

Un vieux dicton disait : "Loin des grand'routes et loin des grands seigneurs , c'est là que le paysan vit heureux."

Certes, les habitants de Lamontgie remplissaient parfaitement la deuxième condition pour avoir le bonheur : depuis les temps enfouis dans le passé de la conquête de l'Auvergne par Philippe-Auguste, ils n'avaient d'autre seigneur que le roi de France ; et celui-ci en son Louvre, certes bien lointain, avait d'autres occupations que de songer à tracasser et vexer les bonnes gens de Lamontgie, ses arrière-vassaux "comme dépendant de son château de Nonnette". Surtout en cette fin du XVIème siècle, le pauvre Henri IV, jusque là fort malchanceux, avait d'autres chiens à fouetter ! Les gens de ce village, fort économes comme il appert encore de leurs habitudes présentes, (qui sont garantes du passé) payaient d'ailleurs fort régulièrement "les deniers des tailles et autres". Que désirer de plus ?

Donc tranquillité complète du côté seigneurial.

Mais il n'en était pas de même des "grand'routes" : celles-ci étaient là, s'entrecroisant comme à plaisir, dans le bourg ou à ses approches. Lamontgie était : "sur le grand chemin tendant de Nonnette à Lyon, le chemin tendant de Brioude à Sauxillanges et encore sur le grand chemin tendant de Saint-Flour à Billom".

Au premier abord rien de plus avantageux que cette situation, surtout en un temps où les difficultés des communications entravaient tant le négoce : c'est à ce carrefour de trois chemins que Lamontgie devait sa naissance et une croissance remplie de promesses d'avenir ; par toutes ces voies d'accès - deux grandes et une petite - qui formaient six avenues, lui arrivaient les produits les plus différents et sa situation entre la vallée Lembronnaise et le massif montagneux du Livradois en avait fait le rendez-vous de la plaine et de la montagne. Un jour, des foires y étaient nées tout naturellement, de cette situation si propice au trafic des marchandises et des bestiaux.

Aussi pouvait-on, dans ce coin d'auvergne, caractériser par une institution propre à chacune d'elle plusieurs paroisses qui s'avoisinent par la : Lamontgie, son marché ; Nonette, son château ; Mailhat, son église - pèlerinage ; Esteil, son monastère. On pourrait même, dès le XVIIIème siècle, ajouter Jumeaux, sa batellerie, Auzat, ses mines de charbon.

Le lieu de "La Monge" comme on disait dans le langage courant, était donc prospère, prospérité maintenue par l'esprit d'extrême économie qui y régnait et l'ardeur déployée pour grossir le patrimoine de la maison. Deux propos revenaient alors souvent comme aujourd'hui dans les conversations des habitants : "Tsé eïpargna" "Tsé fère mouison" ("il faut épargner" "il faut faire maison").

Aussi, que de bas de laines bien garnis, et, sous des costumes dépourvus de toute élégance, dans des demeures dénuées de tout agrément, des fortunes rondelettes. Il y avait là, non pas de chétifs manants, maigres tenanciers de terres pour des seigneurs ou de gros bourgeois, mais de vrais propriétaires "labourant à plusieurs paires de vaches ou de boeufs", leurs propres terres, tenues en héritage depuis de longues années. Il y avait des artisans fabricants d'huile, terrés dans leurs boutiques sombres où le cheval borgne tourne la meule de la Toussaint à Paques, tisserands maniant inlassablement la navette, marchands de vaches surtout, courant les foires de Sauxillanges à Ardes et même jusqu'à Allanche, buvant ferme, se disputant souvent et bruyamment avec leurs acheteurs et leurs concurrents, mentant un peu (on sait que c'est indispensable dans ce métier) mais rapportant toujours quelques pistoles. Il n'était pas jusqu'aux chiffonniers, les "marchands de vieux drapeaux", des actes notariés, les "peillarots" du langage populaire qui ne faisaient des affaires et avaient assez de beaux écus pour "sortir en argent", très honorablement leurs filles et leurs fils cadets, lors de leur contrat de mariage.

Mais toute médaille a son revers : on sait que le XVIème siècle fut une époque bien pénible, bien dure pour le pauvre monde. Cela commence par des nouveautés religieuses : on voulait tout bouleverser ; quantité de gens avaient la tête à l'envers ; on vit même un fils de Mailhat, Désoches, d'une famille qui avait produit quantité de notaires et de procureurs, se faire ministre protestant et aller donner le prêche dans la ville d'Issoire !... Lamontgie ne donna guère dans ces extravagances : on y tenait ferme pour "la religion des vieux" et on ne se passionnait que pour des questions plus terre à terre ... On considéra "ceux de la religion prétendue réformée" comme des fauteurs de troubles des plus indésirables ; le terme de "huguenot", (prononcez higanaô), devint pour des siècles le synonyme d'homme sans foi ni loi, digne de tous les mépris.

Mais ces folies mirent le feu partout, et bientôt ce ne furent que passages incessants d'hommes d'armes de tout genre, de toute religion, de toutes bandes ... Les trois chemins à qui mieux mieux déversaient les compagnies sous les ordres de capitaines à mine farouche qui faisaient vivre leurs hommes sur l'habitant. Allez donc reconnaître là dedans les amis des ennemis !... "Qui dit soudard, dit pillard". Pauvres habitants de Lamontgie ! Ils furent "vexés, tourmentés, pillés, ravagés et saccagés dans leurs biens, meubles et immeubles, par tous ceux qui tenaient les champs..."

Et c'étaient leurs chemins qui amenaient tout cet arroi, alors que les paroisses des environs gardaient dans leurs vallées discrètes une tranquilité relative, qu'ils enviaient à cette heure ! "Les vieux avaient raison", se dirent-ils en se rappelant le dicton qui prévoyait les inconvénients de leur situation ...

Un des meilleurs moments de la dure vie paysanne, c'est, au milieu de l'hiver, l'époque où l'on exécute l'important personnage qui n'est bon qu'après sa mort. C'est une grande fête que le jour du "dîner de cochon" (sauf le respect que je vous dois). Autrefois même un dicton (encore un), commençait ainsi : "Veux-tu être heureux ; un jour : étrennes un habit, une semaine : tue un cochon, ..." [1]

Quelle joie, en effet, de voir la grande tablée avec toute "la parenté", des marmots jusqu'aux aïeules et les neveux et cousins, filleuls et marraines, devant les saucisses et les grillades de "filets", et ces délicieux boudins qu'on ne trouve qu'à la campagne, les choses indignes qu'on mange en ville sous ce nom, n'ayant avec les "vrais" aucune ressemblance ! Eh bien, cette joie même avait été supprimée du pauvre pays qui l'appréciait si hautement ; cette fête de l'hiver où chaque famille réunissait tout son clan n'existait plus ... On s'en rappelle encore là-bas et les vieux le redisent avec des yeux agrandis par l'effroi, alors que tout le reste, pire sans doute, mais moins saisissant pour les imaginations de ce terroir, est oublié depuis longtemps ... De crainte de ces affreux soudards il fallait, de nuit, conduire le porc dans la maison et là, sous le manteau de la cheminée, l'assommer afin d'empêcher que ses cris ne révèlent la présence sous un toit d'aussi riche provende !...

Quel temps !... Mais que faire ? On disait alors, quand une injustice, une brutalité vous tombait sur le dos : "Si le roi le savait !..." Hélas, vers l'an 1590, ce recours au lointain souverain était inopérant : le pauvre roi Henri, quatrième du nom, grand ami du pauvre peuple, comme chacun sait, était bien dans l'impossibilité de rendre la sécurité à ses fidèles manats de Lamontgie et autres lieux et il avait fort à faire pour reprendre son royaume qui tombait dans l'anarchie ... Mais la nécessité rend industrieuse : elle donne l'esprit d'initiative et d'organisation aux caractères énergiques ; les habitants de ce pays se sont toujours montrés très avisés lorsqu'il s'est agi de leurs intérêts immédiats. Ils se groupèrent ; le "corps commun" eut tôt fait de démontrer à tous que la situation malheureuse de Lamontgie, sillonné de bandes armées et l'absence de défenses naturelles comportaient impérieusement l'érection d'une enceinte de murailles à l'instar de maintes villes et bourgades qui se préservaient ainsi des ravages des soudards.

Mais pouvait-on s'adresser aux autorités de la province. Leur demander des subsides pour ces grands travaux ? Hélas, en ces temps calamiteux les levées des deniers royaux se faisaient très mal, elles étaient absorbées par la guerre : untel recours était fort aléatoire ... Il ne restait aux habitants de Lamontgie pour se construire des remparts, d'autres ressources que leurs propres moyens. Grosse entreprise cependant ! mais qu'à cela ne tienne : pour sauver l'essentiel de leur avoir, et empêcher la catastrophe totale c'est le moment de montrer que l'économie pratiquée par les gens de Lamontgie peut servir hautement le pays en cas de nécessité vitale ; ces manants de si peu de mine "boursillèrent" entre eux et le produit de la collecte fut si rondelet, si opulente même fut la somme réunie, qu'en peu de temps, aidés sans doute par ces charrois volontaires de tous les habitants qu'on appelle des "bouades", on vit s'élever tours et murailles. Dans cette enceinte qui entoura une partie du village chaque famille eut un petit refuge avec logis exigu mais suffisant, étable, cellier ; l'indispensable pour garantir la sécurité des biens les plus précieux en cas d'alerte.

Au moment où tant de seigneurs ne pouvaient même pas boucher les lézardes de leurs châteaux tombant en ruines, "le lieu de la Monge, paroisse de Mailhat", se transformait en ville forte ! Et les rudes gars qui remplissaient ses maisons - le chiffre moyen, souvent dépassé est de six enfants par famille - suffirent pendant nombre d'années à la garde de ces bons remparts neufs, où l'on se garda bien d'entretenir à grand frais une garnison mercenaire, ce qui aurait été mettre l'ennemi dans la place.

Tout alla bien, dès ce jour, dans ce pays bien gardé. Mais le roi de France pacifia enfin son pauvre royaume et, je ne sais quel ergoteur, - quelque procureur hanté par le formalisme et les chinoiseries administratives - fit remarquer aux habitants qu'ils avaient commis un empiètement inouï sur les droits souverains de Sa Majesté, quand sans l'autorisation de leur seigneur, ils avaient transformé leur bourg en forteresse et que de ce fait ils allaient encourir les plus graves alternatives, dont la première était la démolition de l'enceinte !...

Les habitants ne se troublèrent pas pour cela : "le corps commun" des chefs de famille, au contraire, résolut de prendre les devants, et d'aller en causer au roi, qui précisément se disposait à venir à Lyon.

Lyon ne nous parait pas très voisin de Lamontgie ; de plus nous vivons dans cette idée fausse que nos ancêtres étaient absolument casaniers parce qu'ils n'avaient pas à leur disposition le chemin de fer. Il n'en était rien et les voyages étaient bien plus fréquents qu'on ne le croit.

Chaque année, au printemps, les marchands d'huile de Lamontgie allaient avec leurs mulets porter leur marchandise en Forez, et jusqu'à la grande ville. Sans doute l'un d'eux eût tôt fait de se proposer pour aller porter la "Très humble supplique à Sa Majesté..." Un notaire - Lamontgie en comptait déjà plusieurs - la rédigea vite dans ce style dolent à fendre l'âme dont l'usage était de règle en ce genre de requêtes ; pour que l'effet en fut plus sûr on lesta sans doute le porteur de quelques pistoles à remettre en bonnes mains, afin de parvenir plus tôt auprès des personnages qualifiés de la chancellerie royale, et on attendit avec confiance...

Confiance justifiée par l'évènement, car un beau soir le messager était de retour brandissant fièrement une peau de mouton pliée en trois bandes longitudinales et où pendait un large sceau de cire jaune. Le "corps commun" fut en un clin d'oeil réuni dans l'étroite "maison de ville" blottie sous les arcades du fort, et à la lueur clignotantes des "chalets", balancés au "courmier" dentelé pendu à la voûte. le notaire lut cette belle lettre :

"Henry, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, a tous presents et advenir salut. Nos bien amez les manans et habitans du villaige de la Montgie en notre païs d'Auvergne deppendant de nous à cauze de nostre chasteau de Nonnette lieu entouré et joignant plusieurs grands chemins entre autres estant sur le grand chemin tendant dudict Nonnette à Lyon, au chemin tendant de Brioude à Sauxillanges et sur le chemin de Sainct-Flour à Billiom auxquels chemins passent ordinairement plusieurs gens de guerre. Nous ont faict remontrer que au commencement de ces troubles ? en cestuy nostre royaume et deouis le decez de feu notre très honoré sieur et frère le roy dernier déceddé ilz avoient esté tellement versez, tourmentez, pillez, ravagez et saccagez dans leurs biens meubles et immeubles par nos ennemis et par les gens de guerre mesme par plusieurs qui tenaient les champs sans adveu de sorte qu'ilz furent contraintz depuis le decedz de notre dict sr et frère et dez le moys de janvier mil cinq cens quatre vingt dix denceindre partie dud. villaige de murailies et de quelques tours servant de defences à iceluy villaige, non a aultre intention que pour garder eulx leurs femmes enfans et familles desdictes vexations et impietez dont usoient lesdits gens de guerre envers eulx et pour ce qu'ilz ont cloz et enceint partie dud. villaige de la Montgie sans avoir sur ce nos lettres de permission de faire ladicte closture et enceinte ne leur ayant pas tenu rigueur pour le dangier des chamins qu'au plus fort de ceste guerre qui estoit lors en cestuy nostre royaume ilz n'ont aussi pu avoir recours à nous jusques a présent qu'ilz nous supplient très humblement notre bon plaisir soit vallider et approuver ladite enceinte et closture avec lesdites deffences qu'ils ont faictes à leurs propres coûts et despens sans pour ce avoir faict aucune levée de deniers que ce qu'ilz avoient boursillé par entre eulx pour ladite confirmation que besoing seroid lad. closture ainsy faicte leur puisse demeurer en son entier pour le péril où ilz seroient si ilz n'avoient ces dictes deffences. Considéré que ès dicis chemins journellement pendant lesdits troubles ont passé et repassé gens de guerre et qu'il leur seroit impossible paier les deniers de nos tailles et conserver leurs biens, bestial et aultres choses, NOUS, à ces causes désirant bien et favorablement traicier ls dits exposans attendu la fidellité qu'ilz nous ont randûe ayant toujours paié lesd. deniers de noz tailles et aultres qu'ilz nous estoient tenuz paier et s'estant maintenus en notre obeissance avons vallidé et approuvé de notre grâce spéciale pleine puissance et aucthorité royale vallidons et approuvons lad. enceinte et closture et tours qu'ilz ont faicte autour de partie dud. villaige voullant que ce qui a esté par eulx faict pour ce regard demeure en son entier sans que ores ny pour l'advenir ilz en puissent estre recherchez ni inquiettez en quelque sorte et manière que ce soit pourru qu'ilz en tiennent le consentement du seigneur hault justicier. Ordonnons en mandement au gouverneur Sénéchal d'Auvergne ou leurs lieutenans que de noz rles vallidation approbation et permission de tout le contenu cy dessus ils facent souffrent et laissent lesd supplians jouir et user plainement paisiblement sans en ce leur faire mettre ou donner ny souflrir leur estre faict mis ou donné aucun trouble ou empêchemen au contraire ores ny pour l'advenir lequel si faict mis ou donné leur estoit ou avoir esté l'ostent et mettent ou facent mettre et oster incontinant sans dellay au premier estat et deub. Car tel est notre plaisir et affin que ce soit chose ferme et estable a tousjours nous avons faict mettre notre scel a cesdictes présentes sauf en aultres c

"Donné à Lyon au moys de septembre l'an de grace mil cinq cent quatre vingt quinze et de notre règne le septième."

"HENRY"
"Par le Roy : DE NEUFVILLE."

Passons sur la joie des habitants de Lamontgie qui voyaient ainsi leur initiative consacrée par la plus haute approbation ; ce fut un triomphe moral superbe, venant après la grande victoire de leur sécurité matérielle reconquise !

Lamontgie ainsi encouragé, redoubla sans doute d'ardeur dans ses deux qualités dominantes : le travail et l'économie. Le nombre de feux aux XVIIe et XVIIIe siècles, ne fit que croître, les défrichements augmentèrent, ses grosses familles de laboureurs et d'artisans, les Delanef, les Olier, les Berard, les Chadenay, bien d'autres encore possédèrent de vraies fortunes, parcimonieusement administrées, entretenues par un implacable droit d'aînesse. ou plutôt par le droit presque exclusif de celui qui continuait "la maison", ce pivot de la vie rurale, ce moteur de l'activité de tous, cette institution fondamentale, qu'il s'agissait de faire grandir sans cesse !

Au XVIIIe siècle même, se rappelant sans doute la fameuse entreprise de l'enceinte fortifiée, ils voulurent aussi faire quelque chose de grand : une église. Ils semblaient vouloir secouer la tutelle de leur belle, mais un peu lointaine paroisse de Notre-Dame de Mailhat. Le monument, dédié à Saint-Roch, grand protecteur des animaux domestiques contre les épidémies fut sans architecture, sans beauté, sans élan, car ce temps avait perdu les belles traditions des vieux "logeurs du Bon dieu", mais ses vastes dimensions indiquaient bien le bur poursuivi ; ce n'était pas une chapelle mais bien une future paroisse pour tous les villages qui convergeaient vers lamontgie, et cet audacieux projet se réalisa bientôt comme tous ceux de ce pays, qui semblait avoir le vent en poupe.

Comble de gloire due à cette prospérité croissante : au grand branle-bas de la révolution on bouleverse toutes les anciennes circonscriptions. Dans ce coin d'Auvergne quel est le bourg le plus commerçant et le plus populeux ? Lamontgie assurément : le voilà chef-lieu de canton !

Hélas ce fut pour peu de temps : un remaniement survint peu après, qui détrôna Lamontgie au profit d'un bourg, nouveau lui aussi, Jumeaux, né de la batellerie sur l'Allier un siècle auparavant.

Lamontgie ne sut pas défendre la position acquise, cette fois il sembla qu'il n'était "pas à la page". Son économie un peu sordide était doublée d'une rusticité assez encroûtée ; il semblait que ses grosses familles malgré leur fortune ne pouvaient évoluer, s'élever au-dessus de leur horizon fermé comme l'enceinte de leurs murailles vieillissantes. Les habitants, même fort riches, n'avaient pas la souplesse nécessaire pour se muer en bourgeois, et malgré leur disposition à la chicane, bien peu de leurs fils entraient dans cette "robinaille" qui dirigeait souverainement les campagnes à la fin du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle. Les marchands de Jumeaux, au contraire, avaient pour fils et frères des notaires, des procureurs, des avocats retors : ils réussirent à y faire transférer le chef-lieu ... et le gardèrent.

Lamontgie déchu de ses grandeurs, rapides mais brèves, ne conserva d'autre rayonnement extérieur que le brouhaha mensuel de ses foires qui lui est assuré à perpétuité par sa situation géographique : le village revenait ainsi à son point de départ.

Peu à peu le bourg s'évada de l'étroite enceinte élevée en 1590 ; lentement, murs et tours commencèrent à disparaître, bien qu'il en reste encore assez pour juger de l'ensemble. Celui-ci n'a jamais retenu l'attention d'aucun archéologue, ni d'aucun artiste, mais au point de vue social il y avait là une belle page d'initiative, de solidarité locale, et, au milieu de grandes difficultés un effort très grand, couronné par un beau succès.

Les nouvelles générations toujours âpres au gain, mais estimant de moins en moins ce qui venait des "vieux" oublièrent tout cela dans un temps sans mémoire et sans traditions, Un maire de Lamontgie donna un jour le lettre royale si glorieuse pour sa commune, mais dont le contenu indéchiffrable semblait sans intérêt, à la bibliothèque de la ville de Clermont où elle est actuellement conservée ...[2]

Jusqu'à ce jour elle n'avait jamais été publiée : elle méritait vraiment de l'être.



[1] Il est vrai que ce proverbe issu d'un matérialisme bien épais se continuait par une fine ironie très gauloise, et se terminait par un conseil de haute sagesse : "... un mois : épouse une femme ; toute la vie : sois bon chrétien."

[2] N° 621 du catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque de Clermont.

 

 

Philippe ESPERON
Transcription Philippe ESPERON-2000.